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Introduction
Les mathématiques, souvent perçues comme une science rigoureuse, suscitent des réactions variées, allant du désintérêt à l’angoisse. Ce dernier phénomène, connu sous le nom d’anxiété mathématique, touche de nombreux élèves et adultes à travers le monde. Loin d’être une simple aversion pour les chiffres, cette anxiété se manifeste par des sentiments de tension, d’inquiétude et de peur face à des situations impliquant des calculs ou la résolution de problèmes mathématiques.
Cet article vise à explorer ce concept en profondeur. Nous commencerons par définir l’anxiété dans son sens général, puis nous nous concentrerons sur l’anxiété mathématique : sa définition, ses manifestations, les outils de mesure disponibles et les recherches actuelles sur ses origines. Comprendre l’anxiété mathématique est essentiel pour identifier ceux qui en souffrent et développer des stratégies d’intervention efficaces, permettant ainsi d’établir une relation plus sereine et constructive avec cette discipline fondamentale.
L’anxiété : Un état émotionnel complexe
Anxiété générale: Définition
L’anxiété, du latin « anxietas » signifiant inquiétude, est une appréhension psychologique face à l’avenir (Belzung, 2007). En effet, cette émotion négative secondaire est influencée culturellement et se compose de plusieurs éléments. Tout d’abord, elle inclut la perception d’un danger imminent, suivie d’une attente anxieuse et d’un sentiment d’impuissance (Pichot, 1987). Contrairement à la peur, qui est déclenchée par un objet réel, l’anxiété vise des dangers potentiels et incertains. Ainsi, elle se manifeste comme une peur anticipée, englobant des aspects affectifs et cognitifs (Belzung, 2007). Par conséquent, bien qu’elle soit une réaction normale face au stress, l’anxiété peut devenir problématique si elle est excessive. En somme, il est crucial de reconnaître les nuances de l’anxiété pour mieux comprendre son impact sur le bien-être psychologique des individus.
Anxiété générale: Manifestations
Les manifestations de l’anxiété peuvent être variées, incluant des réactions physiologiques telles que l’accélération du rythme cardiaque, l’hypervigilance, ainsi que des aspects cognitifs comme des pensées négatives et des comportements d’évitement (Belzung, 2007). Ces mêmes types de réactions sont observés chez les personnes souffrant d’anxiété mathématique lorsqu’elles sont confrontées à des situations liées aux mathématiques. La manière dont un individu interprète une situation comme une menace (une perception subjective) le place dans un état d’incertitude, le poussant à adopter des stratégies pour atteindre ses objectifs et tenter de réduire son anxiété. Le corps se prépare alors à une réaction de « combat ou fuite ». Il est crucial de noter que l’approche adoptée par une personne face à une situation anxiogène peut avoir un impact significatif sur sa performance (Maloney, Sattizahn et Beilock, 2014). La section suivante explorera l’effet spécifique de l’anxiété sur un aspect cognitif essentiel à l’apprentissage : la mémoire de travail.
Mémoire de Travail : Un Système Cognitif Clé
La mémoire de travail (MDT) est un système cognitif fondamental responsable du stockage et du traitement temporaire de l’information. Elle permet à un individu de disposer d’un espace mental pour intégrer, maintenir et manipuler les informations qui lui sont présentées, jouant un rôle crucial dans des tâches cognitives complexes telles que la résolution de problèmes, la compréhension du langage et le raisonnement (Ribaupierre, 2016).
L’Impact de l’Anxiété sur la Mémoire de Travail
Théorie du contrôle attentionnel: « effectiveness » et « efficiency »
La théorie du contrôle attentionnel (« Attentional Control Theory »), développée par Eysenck et al. (2007), offre un cadre explicatif pour comprendre l’impact de l’anxiété sur les tâches cognitives nécessitant attention et mémoire de travail. Cette théorie établit une distinction importante entre deux aspects de la performance : l' »effectiveness » (la qualité du traitement ou l’exactitude des réponses) et l' »efficiency » (les ressources cognitives mobilisées et la vitesse de traitement) (Eysenck, Derakshan, Santos & Calvo, 2007).
Influence de l’anxiété sur l’allocation de l’attention
Face à une situation perçue comme menaçante, le fonctionnement de la mémoire de travail est influencé par deux systèmes attentionnels concurrents. Premièrement, l’attention est orientée vers les stimuli pertinents pour les objectifs et les attentes de la tâche en cours, comme les informations nécessaires à la résolution d’un problème. Deuxièmement, l’attention est également dirigée vers les stimuli extérieurs saillants de l’environnement qui sont ressentis comme des menaces, ou vers les stimuli intérieurs tels que les ruminations et les pensées négatives (Eysenck et al., 2007).
Conséquences de l’anxiété élevée sur la performance cognitive et l’apprentissage.
Les individus présentant un niveau d’anxiété élevé ont tendance à consacrer une part significative de leur attention à la gestion de cette anxiété, en se concentrant sur leurs réactions physiologiques (palpitations, transpiration) et leurs pensées négatives (peur de l’échec, sentiment d’incompétence). Cette allocation de ressources attentionnelles au détriment de la tâche en cours se traduit généralement par une baisse de la performance. La théorie du contrôle attentionnel suggère cependant que certains individus peuvent parvenir à compenser l’effet négatif de l’anxiété sur leurs performances. Pour ce faire, ils augmentent souvent leur effort cognitif afin de maintenir un niveau de performance acceptable. La motivation à investir cet effort supplémentaire dépend de leurs attentes quant aux résultats possibles (Eysenck et al., 2007).
Conclusion sur la perturbation du fonctionnement cognitif par l’attention focalisée sur les émotions anxieuses et le doute
En définitive, c’est l’attention focalisée par la personne sur ses propres émotions anxieuses et le doute qu’elle éprouve quant à ses capacités qui perturbent le fonctionnement cognitif optimal et entravent l’apprentissage (Eysenck et al., 2007). Comme le soulignent Lafortune et Sain-Pierre (1994), « La personne croit alors qu’elle ne peut plus travailler parce qu’elle ne peut plus penser. En réalité, c’est l’inverse, elle ne peut plus penser parce qu’elle a cessé de réfléchir, d’étudier et surtout, de faire appel à son processus logique » (Lafortune, 1994, cité par Lafortune et Sain-Pierre, 1994, p. 25). Cette interaction complexe entre l’anxiété et la mémoire de travail est particulièrement pertinente dans le contexte de l’apprentissage des mathématiques, où la concentration et la manipulation d’informations en mémoire de travail sont cruciales. La section suivante se penchera spécifiquement sur le phénomène de l’anxiété mathématique, une réalité quotidienne pour de nombreux élèves et enseignants.
Anxiété Mathématique : Un Défi Pervasif dans l’Éducation
Définition de l’Anxiété Mathématique
L’anxiété mathématique est un phénomène préoccupant qui touche de nombreux élèves et adultes, bien qu’elle ne soit pas classée comme un trouble distinct. Intégrée dans le cadre plus large des troubles d’anxiété, elle a un impact significatif sur les performances académiques et la confiance en soi des individus. Selon Richardson et Suinn (1972), cette anxiété se manifeste par des sentiments de tension qui entravent la manipulation des nombres, rendant les situations mathématiques particulièrement stressantes. Cemen (1987) souligne que cette réaction est souvent liée à des contextes perçus comme menaçants, ce qui peut nuire à l’estime de soi. Il est crucial de reconnaître et de comprendre ce phénomène pour mieux soutenir ceux qui en souffrent. En mettant en place des stratégies d’intervention adaptées, nous pouvons aider à atténuer l’impact de l’anxiété mathématique, favorisant ainsi un environnement d’apprentissage plus serein et inclusif. La sensibilisation à ce sujet est essentielle pour améliorer la vie des personnes concernées.
Anxiété Mathématique: Manifestations
Les réactions associées à l’anxiété mathématique peuvent se manifester à travers une variété de symptômes, touchant les sphères physiologiques, psychologiques et comportementales de l’individu.
Anxiété Mathématique: Les symptômes physiologiques
Sur le plan physiologique, l’anxiété mathématique peut entraîner une accélération du rythme cardiaque, une transpiration excessive des mains, des maux d’estomac, des sensations d’étourdissement (Das et Das, 2013), ainsi qu’une augmentation du taux de cortisol, une hormone liée au stress (Pletzer, Wood, Moeller, Nuerk et Kerschbaum, 2010). Il est intéressant de noter que la sécrétion de cortisol peut exacerber l’impact négatif de l’anxiété mathématique sur les performances cognitives. Les études en neuroimagerie ont révélé que l’anticipation ou la confrontation à des tâches mathématiques chez les personnes anxieuses peut activer des zones cérébrales (régions neurales) associées à l’expérience de la douleur physique ou au rejet social (Lyons et Beilock, 2012a). De plus, l’anxiété mathématique peut se traduire par une diminution de l’activité dans les régions du cerveau impliquées dans le traitement numérique et le raisonnement mathématique, combinée à une hyperactivité des régions associées à la réponse de peur acquise (Young, Wu et Menon, 2012).
Anxiété Mathématique: Les symptômes psychologiques
Les symptômes psychologiques de l’anxiété mathématique sont également nombreux et comprennent des difficultés de concentration, un sentiment d’impuissance face aux problèmes, des inquiétudes persistantes concernant la performance, un sentiment de gêne ou de honte lié aux erreurs, de la nervosité, de l’appréhension face aux tâches mathématiques, une prédominance de pensées négatives et catastrophistes (Das et Das, 2013), des blocages mentaux soudains, des crises de panique (Gattuso et al., 1989), la peur d’apparaître stupide aux yeux des autres, et une baisse significative de l’estime de soi (Whyte et Anthony, 2012).
Anxiété Mathématique: les symptômes comportementaux
Enfin, les symptômes comportementaux se manifestent souvent par une tendance à éviter activement les cours de mathématiques, à remettre les devoirs et les révisions à la dernière minute, et à ne pas étudier la matière de manière régulière (Das et Das, 2013). Pour certaines personnes, la simple perspective d’entrer dans une salle de classe de mathématiques ou d’ouvrir un manuel peut déclencher des émotions négatives intenses (Maloney et Beilock, 2012). Les symboles mathématiques eux-mêmes peuvent être perçus comme des menaces. Ainsi, l’exposition à des stimuli associés aux mathématiques peut créer un biais de désengagement attentionnel et comportemental, un phénomène comparable à une réaction face à un stimulus de peur conditionnée (Pizzie et Kraemer, 2017).
Anxiété Mathématique : Une émotion d’accomplissement anticipatoire
L’anxiété mathématique peut ainsi être conceptualisée comme une émotion d’accomplissement spécifique, caractérisée par une crainte anticipatoire face à des situations mathématiques jugées menaçantes pour l’individu, où l’échec est anticipé et le contrôle sur le résultat perçu comme inatteignable (« …conceptualisations of anxiety in the achievement emotion literature that describe MA [Math Anxiety] as an anticipatory emotion where failure is anticipated and control over this outcome seems unachievable », Pekrun, 2006, cité par Buckley, 2016). Cette perspective met en lumière la dimension émotionnelle et la perception de contrôle comme des éléments centraux de l’anxiété mathématique.
Dimensions et Mesures de l’Anxiété Mathématique
Importance de la mesure de l’anxiété mathématique
La mesure de l’anxiété mathématique joue un rôle crucial pour identifier les individus concernés et proposer des interventions adaptées. Plusieurs échelles, principalement des questionnaires d’auto-évaluation, existent pour évaluer ce phénomène. Cependant, il manque un consensus sur la structure interne de l’anxiété mathématique, qu’elle soit unidimensionnelle ou multidimensionnelle. Le questionnaire le plus connu et fiable, le MARS (Mathematics Anxiety Rating Scale), a été développé par Richardson et Suinn en 1972. Ce questionnaire, composé de 98 questions, évalue l’anxiété liée à la manipulation des nombres et aux concepts mathématiques, en considérant l’anxiété mathématique comme un sentiment négatif global.
Évolutions et critiques des outils d’évaluation
Le MARS, bien qu’il soit largement utilisé, fait face à des critiques concernant sa longueur et son interprétation, ainsi que sa focalisation sur l’affectif. Pour répondre à ces préoccupations, des versions plus courtes ont été développées, telles que le R-Mars, l’AMAS et le sMARS. En outre, des questionnaires adaptés à l’âge, comme le MARS-A, le MARS-E, le MASC et le MAQ, prennent en compte des éléments importants tels que l’anxiété numérique et l’anxiété face aux tests. Par ailleurs, des instruments transculturels ont également émergé pour enrichir la recherche.
Des recherches récentes explorent la multidimensionnalité de l’anxiété mathématique. Ces études distinguent clairement l’anxiété face aux tests et l’anxiété numérique, tout en mettant en lumière l’anxiété liée à l’apprentissage et à l’évaluation. En effet, elles révèlent des composantes affectives, souvent débilitantes, et cognitives, qui peuvent être motivantes. Ainsi, ces travaux suggèrent une structure hiérarchique où l’anxiété liée à l’évaluation est prédominante.
Anxiété mathématique: Conclusion
L’anxiété mathématique est un phénomène complexe qui va au-delà d’une simple aversion pour les chiffres. Elle se manifeste par des sentiments de tension et de peur face aux situations mathématiques, impactant la capacité des individus à manipuler les nombres et à résoudre des problèmes. Ses manifestations touchent divers aspects, notamment physiologiques, psychologiques et comportementaux, révélant la détresse des personnes concernées. Les recherches indiquent que cette anxiété comprend des sentiments négatifs ainsi qu’une préoccupation cognitive liée à la performance. Comprendre ce trouble est essentiel pour les éducateurs et les parents, car cela permet de déstigmatiser les difficultés rencontrées par les apprenants. En créant un environnement d’apprentissage positif et en mettant l’accent sur la compréhension plutôt que sur la performance, il est possible d’aider les individus à surmonter leur anxiété mathématique. L’objectif est de transformer les mathématiques en une source d’épanouissement intellectuel et de réussite.
Des articles en lien:
En savoir plus sur l’anxiété
En savoir plus sur la relation entre la motivation et l’anxiété mathématique: La motivation et l’anxiété mathématique : Une relation complexe
Références
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